La stratégie poursuivie par la “droite” française a été d’une stupidité extrême, et depuis longtemps. Le parti qui depuis 1981 la dominait était le RPR, clairement gaulliste, souverainiste et partisan d’une Europe des Etats sinon des nations, conservateur et donc peu enclin au progrès sociétal, réservé sur l’avortement, hostile au Pacs, libéral dans le domaine de la pensée, comme l’avait montré son absence de dirigisme pour la culture et l’éducation, et son attachement à la liberté de l’enseignement, libéral aussi par pragmatisme en économie dans la ligne d’un Rueff. Au fil du temps et du glissement à gauche de ses chefs, Chirac, puis Juppé, le RPR, allié à l’UDF centriste et eurolâtre, a abandonné ses positions. Par peur d’être débordé au centre-gauche, il y a glissé lui-même, acquis à l’Europe supra-nationale, abandonnant la préférence nationale, passant du patriotisme à la repentance coloniale. Vidé de sa substance, il s’est noyé dans une machine électorale, envahie par des groupes de pression qui l’éloignaient du conservatisme, où l’acharnement des ambitions comblait le vide des convictions.
Alors vint Sarkozy, et ses plumes trompeuses, Buisson ou Guaino, qui eux avaient des idées. Enfin, la droite avait trouvé son homme, énergique pour la sécurité, ferme sur l’immigration, pragmatique pour l’économie. A peine élu, ce jongleur de la politique crut très malin de pratiquer l’ouverture à gauche. Celui qui avait déjà supprimé la double peine pour séduire le microcosme du spectacle, pratiqua la démagogie communautaire. Le Pacs, combattu par le RPR naguère, devait être amélioré afin de donner des avantages, fiscaux notamment, semblables à ceux du mariage. Le combat sur l’identité fut confié à un ministre venu de la gauche et incompétent. Une loi laxiste fut même votée sur la Justice. Dans le domaine économique, aucune réforme structurelle ne fut mise en oeuvre et la crise arriva. La fonction présidentielle, la politique furent soumises à la communication, et perdirent de leur prestige. La distribution des postes ministériels se mua en “casting” et la vie matrimoniale du Président devint sujet d’actualité. En 2012, Sarkozy se souvint qu’il avait été élu à droite, mais il était trop tard.
Cette trahison permanente de la droite ouvrait un boulevard à l’extrême-droite. Entre 2012 et 2017, elle pouvait s’y engouffrer. L’Espagne d’après Franco avait connu un tel processus. Le Parti Populaire fondé par des franquistes notoires était marginal dans les années 1970, dominé par l’UCD de Suarez. Il est devenu pendant les gouvernements socialistes des années 1980, le grand parti de droite et a conquis le pouvoir qu’il occupe actuellement encore, après s’être considérablement recentré, d’ailleurs. Le Front National aurait dû imiter ce modèle sur les ruines d’une UMP vidée de substance et en proie à des rivalités féroces. Il ne l’a pas fait pour trois raisons qui sont encore aujourd’hui les handicaps de “la”droite.
D’abord, il devait élargir sa base en rassemblant. Il lui fallait à la fois réunir la France périphérique hostile à une immigration excessive et inquiète d’un déclassement, la France conservatrice bousculée par l’inversion des valeurs, attachée à la famille et exigeante quant au sérieux des gouvernants, notamment en économie, et la France populaire victime du chômage, menacée dans son mode de vie, appauvrie et dépossédée de son identité. On pouvait penser que Marine Le Pen, au Nord, s’adressait à ce troisième public tandis que sa nièce, au sud, cultivait le second. Le premier demeurait le terrain privilégié qui avait vu grossir les scores électoraux du Front. Après l’échec au sud comme au nord lors des régionales face à une alliance d’une totale malhonnêteté intellectuelle entre les socialistes et les républicains au nom d’un improbable front républicain qui atteint le sommet de l’hypocrisie, le Front national devait faire un effort prodigieux de respectabilité et de sérieux. Il a cultivé, non sans succès, la France populaire, un électorat souvent de gauche à l’origine. Sa victoire dans le Pas-de-Calais est un événement, mais il l’a obtenue avec une démagogie qui l’a décrédibilisé aux yeux de beaucoup de conservateurs : ce sont les électeurs de François Fillon qui n’ont pas franchi le pas. Par ailleurs, il a fait preuve d’un flottement sur les questions sociétales. Le groupe de pression lgbt est manifestement aussi présent au FN que chez ses deux concurrents, sans parler bien sûr du nouveau venu qui fait marcher les Français. Quant à la question migratoire, elle a été délaissée au profit d’une obsession anti-européenne qui a fait peur à beaucoup. L’hostilité manifeste des catégories supérieures urbaines dans les grandes métropoles a traduit ce manque de crédit.
Ensuite, se pose évidemment la question du chef. A gauche et à droite, c’était le trop-plein qui a abouti aux primaires avec le résultat que l’on sait. Au FN comme pour En Marche, il n’y en avait qu’un. Or chacun a compris que Marine Le Pen n’avait pas le niveau face à M. Macron. En raison de l’aspect décisif de l’élection présidentielle, il faut un candidat qui jouisse d’un véritable charisme dans le style, l’intelligence et la solidité. Fillon n’en était pas loin, malgré son manque de chaleur. La machination montée contre lui le lui a ôté. Seul face à Marine Le Pen, un inconnu sans expérience, l’a reçu en cadeau. Il est désormais indispensable que la droite se trouve un patron charismatique. C’est aussi vrai pour le FN que pour les Républicains. Pour le FN, il serait préférable qu’il ne s’appelle pas Le Pen, et qu’il soit davantage conservateur que populiste. Une maîtrise des questions économiques lui sera indispensable pour expliquer que les réformes structurelles sont nécessaires à la compétitivité et pour faire comprendre que l’Euro est, pour les pays du sud de l’Europe habitués aux dévaluations, un boulet mortel. Philippot a tout misé sur le second point, et Fillon sur le premier. Marine Le Pen est apparue incapable de justifier rationnellement une démagogie dépensière fondée sur le retour au Franc. Son maintien à tout prix à la tête du FN stérilise ses chances de succès. La droite va donc être confrontée à une compétition pour déterminer son ou ses leaders. C’est vrai pour le FN comme pour LR. Le risque d’explosion n’est pas mince. Pour Les Républicains, c’est en bonne voie puisque certains, beaucoup peut-être, vont rejoindre Macron. Au FN, souverainistes et identitaires vont se déchirer en s’accusant de l’échec.
Les deux “droites” sont donc condamnées à se tendre la main. Les Républicains s’y refusaient pour éviter que leur aile gauche n’emprunte la troisième voie. C’est fait ! Le FN rêvait de briser le plafond de verre à lui seul. Il est resté fixé au tiers des électeurs ! Les groupes parlementaires issus des législatives permettront sans doute d’entrevoir le futur paysage politique français. Il se dessinera entre opposition et majorité présidentielles. Si le président a une majorité à l’Assemblée, il sera enfin temps pour les oppositions de droite de se réunir. Beaucoup d’électeurs et de nombreux mouvements qui constituent la “droite hors les murs” le souhaitent, car tous pensent avec raison que Macron est le visage trompeur et souriant du suicide français.
5 commentaires
J’imagine très bien Marion Maréchal -Le Pen revenir dans trois ou quatre ans à la tête d’un nouveau parti, fraîche et pimpante pour 2022 , un peu à la Macron de 2017.
De nos jours, contrairement à la baisse du chômage ou à la hausse de nos pouvoirs d’achat, tout est possible !
Charles Million dans ma région Rhône Alpes n’a pas hésité lui en son temps et contre vents et marrées à faire alliance avec le FN au Conseil Régional! Il serait temps que cette alliance au niveau national voit le jour.
Le FN a vécu…il faut le reconstruire sur un nouveau” le PN ” (Parti Nationaliste).
” un inconnu sans expérience ”
Inconnu, certes ; mais une expérience de secrétaire général adjoint à l’Élysée (mai 2012 – juillet 2014) doit bien valoir une expérience de ministre.
Les vieux appareils de parti sont totalement incapables de faire la promotion d’un bon chef. En bon gaulliste, Macron a créé son parti, non l’iinverse.