L’urne ou la rue ?

L’illusion démocratique est-elle en train de se dissiper ? C’est la question la question la plus cruciale, aujourd’hui. Bien sûr, elle en appelle une autre : qu’est-ce que la démocratie ? A celle-ci, il n’est guère difficile de répondre sauf aux esprits les plus tordus. La démocratie est le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple. Elle suppose qu’il y ait un peuple, c’est-à-dire une Nation, un ensemble d’hommes et de femmes, conscients de leur identité commune, fondée avant tout sur une communauté de destin. La démocratie consiste en ce pouvoir que la Nation possède d’agir sur son destin. Une démocratie est donc un Etat où le peuple est souverain. L’expression la plus pure de ce régime est la démocratie directe lorsque tous les membres de la Cité, les citoyens, participent directement aux décisions qui engagent l’avenir de la Cité. L’image de l’Agora athénienne surgit alors comme le modèle qui a inspiré l’idéal démocratique des Occidentaux. Mais apparaissent avec elle les ombres qui l’ont accompagnée : tous les habitants ne sont pas des citoyens, et parmi ces derniers, il y a ceux qui sont minoritaires. C’est pourquoi, une nouvelle forme de démocratie est née qui associe à la souveraineté des peuples la protection des individus et des minorités, pour que la démocratie ne soit pas une dictature des majorités. La Suisse représente sans doute aujourd’hui le pays qui se rapproche le plus de cet équilibre. Malgré la diversité des langues et des religions, le morcellement des cantons, la Confédération helvétique offre à la fois l’exemple de la démocratie directe avec les votations régulières sur les sujets que choisissent les citoyens à travers des pétitions, et en même temps la garantie de liberté et d’égalité pour les individus qui définit la démocratie libérale.

Partout ailleurs, à des degrés variables, le spectacle démocratique vient compenser le manque de démocratie réelle. Aux deux extrêmes, on rencontre des Etats où la foule a remplacé le peuple. D’un côté, il y a le système totalitaire où la foule enrégimentée affirme en défilant sa foi, réelle ou apparente, dans la puissance du régime. A l’autre bout, on trouve la foule rebelle qui envahit les rues, manifeste aux abords des lieux de pouvoir, et parfois y pénètre pour renverser le gouvernement en place. Le spectacle des foules révoltées contre un régime corrompu et illégitime a beaucoup servi. L’étonnante ressemblance des révolutions de couleur dans les anciennes démocraties populaires et républiques soviétiques, puis la propagation du Printemps arabe ont éveillé des doutes sur la spontanéité du mouvement. Le processus a conduit à l’existence de démocraties là où les conditions historiques et de psychologie collective étaient réunies, non sans que le résultat ne soit conforme à une certaine identité nationale. Il a échoué lamentablement dans les sociétés qui ne possédaient pas le terreau culturel nécessaire. On ne peut vouloir ériger une démocratie mondiale sur l’effacement des identités nationales. Cette utopie sert en fait à cacher le cauchemar d’une technocratie planétaire. Face à lui, se dressent des démocraties nationales plus que libérales, ces démocraties “illibérales” dont parle Viktor Orban, où les urnes viennent confirmer l’adhésion du peuple à un pouvoir qui privilégie l’intérêt national par rapport aux libertés individuelles, amplifiées par l’idéologie des “droits de l’homme” au risque de détruire les nations au profit des minorités. Ce risque est, lui-aussi, une menace pour la démocratie, particulièrement forte dans notre pays.

Il faut se féliciter de la relative réussite de la rue contre des régimes tels que ceux de l’Algérie ou du Venezuela : dans les deux cas, des gouvernants à la tête d’Etats disposant de ressources naturelles abondantes ont, par leur incompétence et leur rapacité, empêché leurs peuples de jouir de ce privilège. Le spectacle de la révolution bolivarienne ou de la lutte pour l’indépendance, qui ne servaient plus qu’à prolonger la dictature, est bousculé par des spectateurs mécontents qui veulent devenir acteurs. Pour autant, il n’est pas sûr qu’ils le deviennent. Les Algériens subissent une dictature “laïque” sans doute préférable au totalitarisme islamique mais ils semblent encore bien éloignés d’une démocratie pluraliste.

Depuis plusieurs mois, la France connaît, elle-aussi la démocratie de la rue face à une oligarchie issue d’élections étranges. Le pouvoir a diabolisé et réprimé les manifestations sans recourir à de nouvelles élections. Il a même inventé un nouveau spectacle dérivatif et compensatoire : le débat. Le moyen semble tellement efficace pour calmer l’opinion et étouffer la contestation, que pour éviter les cortèges lycéens, on va débattre dans les lycées. De quoi ? Mais d’écologie, bien sûr, et de réchauffement climatique, qui intéressent plus les jeunes, bombardés de slogans à ce sujet, que le pouvoir d’achat, les taxes et plus encore les retraites. L’idée, quelque peu perverse, est d’amener les Français à penser que la fiscalité “écologique” qui allumé la révolte était justifiée alors qu’elle n’est qu’un expédient budgétaire.

A notre président, metteur en scène, il paraît urgent de dire : plus la politique se confond avec le spectacle, moins il y a de démocratie. En Suisse, la politique n’a rien de spectaculaire et les politiciens ne sont pas des vedettes. En France, le spectacle est roi.

 

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3 commentaires

  1. Bravo pour votre article et la chute de ce dernier qui est très claire. Nous avons un exemple, la Suisse, regardons-le, copions-le. D’abord l’humilité et pas de stars mais des politiques au service du bien commun.

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