Lorsque le concept de “démocratie illibérale” est arrivé au centre du débat européen, on pouvait discerner deux conceptions et deux “champions” pour les incarner. Il y avait d’un côté, l’idée que ce qui fait la démocratie, c’est le “démos”, le peuple, la nation, son identité, sa souveraineté, et que les libertés individuelles, les “droits humains”, notamment ceux de étrangers, des non-citoyens, sans être ignorés, ne peuvent prévaloir contre l’intérêt supérieur du pays ni contre la volonté générale exprimée par le vote populaire, en espérant bien sûr que les deux se confondent. Ce conservatisme tempéré de christianisme était incarné par le Premier Ministre hongrois Viktor Orban. Macron s’était alors proclamé le défenseur de l'”Etat de droit”, qui considère que la démocratie repose avant tout sur la protection des individus et des minorités grâce à la séparation des pouvoirs, à l’indépendance de la justice, à la liberté d’expression et des médias en particulier.
Par une belle ironie de l’histoire, il est aujourd’hui facile de montrer qu’il n’y a peut-être pas en Europe de démocratie plus illibérale que la France. Au moment même où François Fillon et son épouse sont confrontés à la justice, le Premier Ministre met un terme au débat parlementaire en faisant appel au 49-3. En 2017, l’intervention brutale et ultra-rapide du Parquet National Financier, après un article dénonciateur dans la presse, avait bousculé le processus électoral et permis d’abord l’élection inattendue de Macron, et ensuite celle d’une majorité macronienne pléthorique. Lors du début du procès, une charge violente du Parquet est allée jusqu’à évoquer la pendaison sous l’Ancien Régime des condamnés pour détournement d’argent public. Cet excès envers un homme innocent jusqu’à preuve du contraire, et au plus coupable d’avoir fait dans le cadre du pouvoir législatif, ce que de nombreux autres faisaient aussi, est la pointe émergée d’un iceberg : celui d’une justice instrumentalisée en fonction des élections, cette fois, comme par hasard, en prélude aux municipales. Cette justice intervient sur le territoire du pouvoir législatif, et le Président de l’Assemblée participe à la curée alors que lui-même est poursuivi pour détournement de fonds, mais d’une manière infiniment plus lente. Le Parquet de Brest l’avait même d’autorité disculpé, là-aussi, comme par hasard. Qui peut parler d’indépendance de la justice ? Qui peut évoquer l’égalité des individus et de leurs droits devant les tribunaux ? Suivant la position ambiguë de Mme Belloubet sur le blasphème, le Parquet de Vienne avait ouvert une enquête à l’encontre de Mila pour incitation à la haine, avant de la clore précipitamment lorsque le Garde des Sceaux avait du se livrer à une retraite précipitée sur des positions non préparées. Certes, c’est le Siège qui juge, mais c’est le Parquet qui déclenche le hallali médiatique !
Le 49-3 est un dispositif constitutionnel qui dans l’esprit de la Ve République donne l’avantage à l’exécutif sur le législatif afin d’échapper à la discontinuité propre à la IVe République. C’est un moyen d’exception dont l’emploi abusif est à l’évidence une entorse à la démocratie libérale. Lorsque une opposition interne à la majorité parlementaire fragilise celle-ci et donc son soutien au gouvernement sur un sujet particulier, ce dernier engage sa confiance c’est-à-dire met la majorité au pied du mur : veut-elle pour autant faire tomber le gouvernement, et risquer la dissolution ? On se rend bien compte que la situation est toute différente. La majorité demeure écrasante et aurait pu vaincre l’opposition en y mettant le temps… celui de la démocratie. Elle aurait pu d’ailleurs opter pour un temps programmé, dès le départ. On en arrive donc à cette situation d’un pouvoir exécutif qui contourne totalement le pouvoir législatif pour aller vite. Depuis l’instauration du quinquennat, l’Assemblée n’est plus que la projection démultipliée de la Présidence. Encore cette dernière n’a-t-elle plus la patience que l’opposition résiduelle puisse s’y exprimer. Qui pourrait encore parler de séparation des pouvoirs ? En France, il n’y en a qu’un, d’ailleurs omniprésent dans les médias et qui, texte après texte, rogne la liberté d’expression partout où elle peut encore subsister, notamment dans les réseaux sociaux. Très symbolique de cette ambiance quasi-totalitaire a été l’intervention du ministre de la culture tentant de dissuader le jury des Césars de décerner un prix à Polanski : de quel droit ?
Si on met dans la perspective de cette note la brutalité très sélective des forces de police contre les Gilets Jaunes, et le coup manqué par le Ministère de l’Intérieur de modifier les résultats apparents des élections municipales, au profit du “parti”, on se dit qu’effectivement, s’il y a un Etat “illibéral”, c’est bien le nôtre, sauf que lui n’a pas le soutien populaire dont bénéficient les gouvernements hongrois ou polonais. Un Etat illibéral non populiste ? Ce n’est pas grand chose : ce devrait même n’être rien !
7 commentaires
Le débat entre la démocratie illibérale en vigueur eu Europe centrale en opposition avec la démocratie libérale qui règne en France est au fond très culturel: la démocratie illibérale est imprégnée de catholicisme que défendent Hongrie et Pologne. Nous avions en France encore sous de Gaulle ce modèle démocratique mais par la suite avons importé les valeurs de la démocratie libérale des Anglo-saxons protestants faisant fi de notre identité.
Arrêtez de parler de libéralisme sans en connaitre la définition.
Rappelons que la France c’est 57% de dépenses publiques, 48.4% de prélèvements obligatoires (source OCDE), un état envahissant ; en résumé le contraire d’un pays libéral.
La démocratie française n’est pas libérale, elle se rapproche du communisme où les dépenses publiques représentaient 63% du PIB.
Vous confondez le libéralisme politique et le libéralisme économique.Il s’agit dans cet article uniquement de libéralisme politique défini par la primauté du droit, la séparation des pouvoirs et le pluralisme politique. Un pays peut avoir un niveau de dépenses publiques élevé et être une démocratie libérale, c’est-à-dire non totalitaire. Il y a des régimes à parti unique qui ont une large majorité de la population pour les soutenir. Les Etats-Unis sont libéraux aux deux sens du terme, les pays scandinaves sont des démocraties libérales, mais avec une dépense publique considérable, le régime nazi a été pendant un certain temps une démocratie qui n’avait rien de libéral. La France, et c’est cruel, n’est pas vraiment libérale aux deux sens du terme.
Je ne doute pas un instant que vous identifiez parfaitement Satan et ses serviteurs à l’oeuvre dans la doctrine actuelle au pouvoir. Relisons attentivement la première lecture de ce dimanche premier mars.
Un Etat “illibéral” qui n’a pas le soutien populaire, dites-vous. Mais le libéralisme n’a pas non plus le soutien populaire. Que veut le peuple s’il ne veut ni l’illibéralisme ni le libéralisme?
Je crois qu’il est assez hésitant. Un jour il est prêt à voter pour Fillon, plutôt libéral, et le lendemain il vote pour Macron, conseiller et ministre du très socialiste Hollande.
Une démocratie libérale n’est pas une démocratie gouvernée par des libéraux. Ses dirigeants peuvent être conservateurs, sociaux-démocrates, etc… C’est une démocratie qui repose sur des droits et des libertés, des principes constitutionnels, tels que la séparation des pouvoirs. Elle applique le système de la majorité parlementaire, tempéré par le mode électoral et le recours au référendum éventuellement. Donc elle repose sur l’adhésion populaire qui n’implique nullement un soutien à une politique libérale sur le plan économique.
Le peuple n’a pas vraiment voté MACRON.Il a surtout évité de voter MARINE, mais que fera-t-il la prochaine fois ?