De 1945 à la chute de mur de Berlin, deux empires coloniaux ont survécu : les Etats-Unis, bâtis sur la conquête de territoires dont les habitants ont été éliminés ou marginalisés, sont la chauve-souris de la décolonisation. Côté rats, c’est une colonie de peuplement où les colons ont le pouvoir et se sont émancipés de la métropole, mais en maintenant longtemps l’esclavage et la soumission des non-blancs ; côté oiseau, c’est la colonie qui a arraché son indépendance et indique aux autres la voie de la liberté. La seconde face permettra d’assumer l’esprit colonisateur lié à la première mais de manière douce : peu de possessions directes, avec des îles, des bases, mais une influence économique, politique et quand il le faut militaire sur une partie grandissante du monde, à commencer par les Etats issus du démembrement de l’Empire espagnol. L’URSS de 1945 s’étend de la Pologne à la Corée, comprenant l’immensité russe, et les conquêtes tsaristes d’Europe, du Caucase et d’Asie centrale. De plus elle vassalise l’Europe orientale et à la fin des années 1970 étendra son influence sur des pays d’Afrique, les colonies portugaises “émancipées”, l’Ethiopie, la Somalie, d’Amérique avec Cuba, et d’Asie avec l’Afghanistan. La puissance soviétique n’est pas douce, mais idéologique et militaire. L’idéologie périclitera, l’Empire éclatera. Pendant un temps, il ne subsistera qu’un empire, celui de Washington, qui exerce son pouvoir le plus souvent indirect sur la plus grande partie du monde avec la triple capacité d’intervenir militairement, de manier le bâton et la carotte économiques et enfin de posséder une monnaie dominante, celle des Etats-Unis qui est aussi le problème du monde.
“Si les Ricains n’étaient pas là”, chantait Sardou, et il avait raison. A deux reprises ils sont intervenus, en 1917 pour combler la défaillance russe provoquée par la révolution bolchévique et aider la France à remporter la victoire, puis de 1942 à 1945, ils ont permis la libération de notre pays. Pendant près de 45 ans, ils ont été le rempart du monde libre face au totalitarisme communiste, mais leurs deux interventions ont été bien tardives et très légitimement visaient tout autant les intérêts américains que le secours à l’Europe démocratique. L’idéologie marxiste de l’URSS était évidente et brutale puisqu’elle légitimait la violence par la fin de l’Histoire qui sacralisait l’expansion soviétique. Celle des Etats-Unis était plus suave puisqu’elle reposait sur la liberté, celle du marché et celle du droit correspondant à la protection de l’autonomie individuelle : libéralisme contre totalitarisme, plus facile à vendre malgré les esprits grognons dénonçant les inégalités, la persuasion clandestine, et un conditionnement finalement plus matérialiste et plus efficace parce que moins visible. Dans les deux cas, il s’agissait néanmoins de produire un homme nouveau. C’est l’idéologie américaine qui y est parvenue comme en témoigne aujourd’hui l’opposition entre la Russie conservatrice qui entretient ses racines et l’Amérique de plus en plus nihiliste mélangeant le paroxysme du consumérisme individualiste et hédoniste avec une conception de la liberté comme libération des minorités dans une inversion normative systématique. Or, les envies capricieuses d’ailleurs déterminées par les médias pas plus que la soumission de la majorité à des minorités activistes ne constituent la véritable liberté. Celle-ci exige, d’abord, des sujets rationnels capables d’autonomie dans leurs choix et, ensuite, des nations qui les rassemblent, capables, elles-aussi, de procéder à des choix collectifs pour maîtriser leur destin et poursuivre la recherche du bien commun.
Il faut donc aujourd’hui nous libérer de l’Empire américain qui joue un rôle déterminant dans notre décadence et accroît notre dépendance à travers les grandes entreprises qui monopolisent les nouvelles technologies, les GAFAM. La gratitude elle-même doit être mesurée. Les Etats-Unis ont pratiqué une politique ambivalente. Ils ont brandi d’un côté une idéologie apparemment fondée sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Celle-ci a créé le déséquilibre européen au lendemain de la première guerre mondiale, cause essentielle de la seconde, et justifié la fin des Empires coloniaux, après 1945. L’absence d’intervention pour soutenir les Français à Dien Bien Phu en 1954 puis le torpillage de l’opération de Suez en 1956 en témoignent. Mais, d’un autre côté, ils ont, de manière ouverte ou plus dissimulée, multiplié les interventions favorables à leurs intérêts sans tenir le moindre compte de l’avis des populations. Leur action au Moyen-Orient à l’encontre de l’Irak puis de la Syrie, leur pression sur la Russie en Europe de l’Est ont le mérite de laisser apparaître les intérêts derrière les discours. Qu’est-ce qui autorise les Américains à interdire aux Syriens d’accéder à leur pétrole au-delà de l’Euphrate ? Qu’est-ce qui les autorise à s’opposer au gazoduc entre la Russie et l’Allemagne ? Dans le monde actuel, plus multilatéral avec l’émergence ou la renaissance des BRIC ( Brésil, Russie, Inde, Chine) auxquels il faut ajouter l’Afrique du Sud, les pays européens doivent non pas retrouver leur puissance d’antan, mais à nouveau jouer leur propre jeu sans qu’il soit d’ailleurs nécessaire d’une institution bureaucratique pour cela. (à suivre)
6 commentaires
Les politiciens américains auraient-ils envoyé leurs vaillants soldats de faire massacrer sur nos côtes normandes, s’il n’y avait pas eu derrière cette décision autre chose que les beaux yeux des français ?
Les historiens ne sont plus seuls à connaître aujourd’hui la réponse !
““Si les Ricains n’étaient pas là”, chantait Sardou, et il avait raison. A deux reprises ils sont intervenus, en 1917 pour combler la défaillance russe provoquée par la révolution bolchévique et aider la France à remporter la victoire, puis de 1942 à 1945, ils ont permis la libération de notre pays.”
Entre temps, ils ont aussi, avec les Anglais, fait pression pour que la France désarme (en 1933 1934…pas ce qu’ils ont fait de plus adroit).
Ils ont aussi été à l’origine, par (ahem) libéralisme dogmatique, de la crise de 1929. Qui, par son contrecoup en Allemagne, a eu quelques fâcheuses conséquences électorales puis géopolitiques. Donc bon, s’ils n’avaient pas été là…
De 1933 aux années 1980, ce fut leur période régulatrice, par conséquent sans crises financières. Puis, retour aux vieux démons, et aux crises à répétition. Et aux délocalisations en Chine.
Votre remarque va dans le sens du texte. Si l’on faisait la liste des des mauvais coups de l’Amérique, elle compenserait largement le bénéfice de leur action.
Charles de Gaulle rejetait à la fois le capitalisme américain et le collectivisme soviétique, la fameuse 3e voie qu’il a mise en oeuvre dans les années 1960 et qui a valu à la France une période de prospérité économique remarquable dont les fruits ont été malheureusement dilapidés par ses successeurs. En bon conservateur, il avait compris que ces 2 idéologies étaient en effet progressistes, destructrices des traditions, en ce qu’elles entendaient produire un homme nouveau.
…et si de GAULLE n’avait pas été là, les “ricains” auraient fait de la France une étoile de plus sur leur drapeau !
Ce qui n’enlève rien au mérite des troupes, qui le plus souvent, ignorent les desseins et les vrais raisons de leur investissement et de leur sacrifice.
Mais la France, si communiste avant 1939, a été tout près de partir vers le bolchévisme, de devenir un satellite de l’URSS. De Gaulle a du faire des choses pour cette gauche là qui n’avait pas été résistante en nombre et en 1945, il y’a eu la création de la sécu et ce syndicat très à gauche et ces ouvriers très bien payés qui joueront un rôle négatif dans nos entreprises comme la SNCF, la RATP et EDF. Actuellement on est encore dans les mains de soixante-huitards et leurs gauchistes-rouges enfants