Que chacun désire persévérer dans son être est une proposition compréhensible. Ce principe d’inertie appliqué à l’homme fait désirer à chacun une vie terrestre éternelle. Peut-être ce désir sera-t-il comblé pour quelques-uns dans l’avenir, avec la possibilité d’entretenir la machine par quelques révisions et changement de pièces nécessaires. Cette perspective du transhumanisme a pour corollaire l’idée que le reste de l’humanité sera périssable, jetable et, en somme superflu, ce qui est le principe même de tout Etat totalitaire comme l’a montré Hannah Arendt. Nous n’en sommes pas là, Dieu merci, puisqu’au contraire nos sociétés mobilisent des moyens gigantesques pour sauver de la mort la toute petite minorité qui y est exposée par la pandémie actuelle. On peut toutefois s’étonner de cette mobilisation obsessionnelle qui entraîne des conséquences démesurées et de l’intensité de la lumière projetée sur une question qui en laisse d’autres au moins aussi importantes dans l’ombre.
Entre la liberté qui est effectivement menacée et la vie qui l’est moins, statistiquement, la majorité des Français choisit la vie et applaudit aux restrictions qui freinent la propagation du virus et sa létalité. L’efficacité et l’innocuité des vaccins sont des questions scientifiques dont il est légitime de débattre. La manière dont l’obligation vaccinale a été imposée dans notre pays pose un problème politique dont il faut examiner les contours et les effets. Une véritable démocratie repose sur la capacité du peuple à s’autodéterminer ne serait-ce qu’en choisissant les dirigeants qui le conduiront. La clef du système est dès lors la confiance entre le pouvoir et ceux qui le subissent, et donc la possibilité pour ces derniers de le remettre en cause si la défiance apparaît. Dans une démocratie libérale, ce qu’est, très théoriquement, la France, il faut en plus que le pouvoir soit limité dans son fonctionnement, indépendamment des électeurs et des élections, par la séparation des pouvoirs, par un certain nombre de contre-pouvoirs. L’instauration du “pass-sanitaire” destinée à rendre la vie impossible à ceux qui en seraient dépourvus consiste à imposer la vaccination non par la persuasion rationnelle que, selon certains, les chiffres étayent, mais par un subterfuge décidé par un homme seul démentant ses propos précédents. Certes, on peut approuver cette décision et même la considérer comme la seule bonne idée qu’ait eue le personnage depuis quatre ans, ce que semblent indiquer les sondages. Mais on doit aussitôt en conclure que la France n’est pas une démocratie et que, dans le fond, les Français n’y sont pas tant attachés qu’on le dit. Moins de libertés, certes, mais aussi moins de risque mortel, le choix est fait. Un homme seul en a décidé, les assemblées législatives et les plus hautes autorités administratives et judiciaires ont cautionné. Les Français vivent désormais dans l’espérance du bout du tunnel, du retour aux terrasses et aux matchs de foot, sans trop s’inquiéter de l’absurdité qui consiste à conditionner le voyage d’une heure en 1ère classe d’un TGV entre Lille et Paris à la possession du Sésame mais non l’usage d’un métro bondé pour une durée à peine moindre. L’idée que l’habitude étant prise, et la survenue des “variants” la renforçant, la coercition fondée sur la peur deviendrait un instrument banal du gouvernement ne s’est pas encore établie. Pourtant, la peur est la baguette magique du pouvoir : elle transforme le “chacun pour soi” en “sauve-qui-peut” général. Celui qui refuse de s’y soumettre par goût de la liberté n’est plus un héros, mais un salaud, car le peuple est devenu un troupeau.
Or tout le problème est là : une société où chacun ne pense plus qu’à persévérer dans son existence aura du mal à produire des héros, ce qui explique d’ailleurs l’inflation de l’emploi du mot, qui cache mal la rareté de la chose. La couardise de l’Occident face à la montée en puissance de l’islamisme est l’autre face de notre décadence. 90 Français sont allés mourir en Afghanistan, se sont sacrifiés inutilement pour que leurs tueurs reprennent le pouvoir avec la bénédiction hypocrite de nos gouvernements, qui vont accepter que ce pays soit à nouveau soumis à des lois les plus contraires à nos valeurs, des lois dont beaucoup d’Afghans s’étaient émancipés voici des décennies. Les pays européens vont à nouveau accepter que des Afghans viennent réclamer le titre de réfugiés, que la Turquie soit payée pour ne pas en laisser passer trop d’un coup. L’intermédiaire de choix sera le Qatar, cet émirat trois fois plus petit que la Belgique, peuplé de plus de deux millions d’habitants dont 300 000 seulement sont des Qataris sans que la possibilité de le devenir soit ouverte aux autres, une monarchie absolue, un islamisme intransigeant et un rôle important dans les guerres liées au prétendu “Printemps arabe” et dans l’appui aux “Frères Musulmans”… Mais, une base américaine, la coupe du monde de football en 2022, et même une place dans l’organisation internationale de la francophonie… Tout s’achète et tout se vend dans notre monde, et ni le gaz ni le pétrole n’ont la moindre odeur morale pour les narines sensibles de nos dirigeants démocratiques et droits-de-l’hommistes à géométrie variable.
Des dirigeants aussi dénués de dignité et de courage que les nôtres ont quand même un sacré culot d’attendre encore de l’héroïsme au sein des peuples qu’ils dirigent, au sein de certaines professions notamment, et le miracle, c’est qu’il en subsiste !
3 commentaires
La démocratie libérale telle qu’elle est conçue et pratiquée en Occident en se voulant être un équilibre entre démocratie et état de droit mène à l’inaction politique et pire trahit la volonté populaire; l’exemple le plus flagrant est celui de l’Amérique, mais la France n’est pas en reste loin s’en faut. Ce n’est pas étonnant dès lors que dans beaucoup de régions du monde (pays asiatiques, Russie, pays d’Europe centrale…) règne la vraie démocratie, la démocratie illibérale.
Mais si cette démocratie illibérale favorise la décadence ? Il faut aussi que la démocratie soit conservatrice. La Hongrie est un bon exemple.
Je pense que les dirigeants du monde libre sont pris en tenaille entre les facilités conceptuelles d’un mondialisme simplificateur, mais qui les prend à revers depuis que la Chine populaire ne joue plus le jeu, et d’inextricables complications au sein de leurs sociétés, sociétés subitement inquiètes que leur avenir soit catégorisé : les classes sociales ont chacunes leur projet plus ou moins net, plus ou moins flou, mais il n’y a plus de projet commun.
Les sociétés des grands pays de l’OCDE sont “éparpillés façon puzzle” par l’incertitude entre divers choix déterminants pour la suite qui les paralysent. On pense d’abord à la crise climatique qui ne provoque aucun réel sursaut des pouvoirs publics nulle part.
Le logiciel démocratique est tout à fait dépassé par les évènements. Ce sont les mediats et la classe aux affaires qui en parlent, les gens, eux, s’en tapent… et donc acceptent les contraintes prises pour leur santé. Le “dictateur romain” n’est plus très loin.