Il y a parfois d’étranges mais éclairantes correspondances entre des faits minuscules et des évènements considérables. Ainsi, il n’y a pas le moindre rapport apparent entre la pauvre Madame Cayeux, empêtrée dans ses déclarations anciennes et présentes à propos des homosexuels et la “confrontation militaire de haute intensité”, bref la guerre qui se déroule en Ukraine. Et pourtant, les deux s’identifient à lutte cruciale qui marque notre époque : celle du prétendu “progressisme” contre le conservatisme. Cette lecture permet de dépasser les visions superficielles et segmentées qui donnent de notre monde en général, et de la société française en particulier l’apparence d’un tissu d’incohérences et de contradictions.
Les médias de l’Etat russe étant interdits, la pensée unique et le politiquement correct règnent dans le monde occidental, et en France, en particulier : Poutine est notre “Grand Satan”, un avatar d’Hitler. L’information donnée sur la guerre est exclusivement celle du gouvernement ukrainien et de son mentor américain. Il y a d’un côté un président héroïque, des soldats valeureux, un peuple qui défend sa liberté et que les démocraties doivent aider jusqu’à la limite de l’engagement direct, en permettant les fournitures d’armes, de formation, de conseils et de conseillers, de mercenaires sur le plan militaire et une avalanche de sanctions sur le plan économique. De l’autre, il y a l’Empire du Mal ressuscité par l’Amérique et à son profit, la Russie poussée dans sa tanière par l’extension de l’Otan et directement alliée aux autres dangereux méchants de la planète : l’Iran, la Chine, la Corée du Nord, etc… Selon l’information qui nous est livrée par nos principaux médias, la propagande russe ment en permanence, par exemple en prétendant viser des objectifs militaires quand les bombardements ne paraissent toucher que des centres commerciaux ou des gares en massacrant nombre de civils, et toujours bien sûr des enfants. Maladroits, barbares, et menteurs par-dessus le marché, tels sont les Russes qu’il faut combattre, qu’il faut battre à tout prix. Devant une telle horreur, l’unilatéralisme s’impose. Toute attitude qui se voudrait “objective” voire paritaire est synonyme de lâcheté, de trahison, de complicité avec le totalitarisme stalinien renaissant de ses cendres !
Comme lors de la Guerre froide, le mal est à l’est et le bien à l’ouest. Simplement, comme la Russie n’a plus la puissance de l’URSS, on peut aller jusqu’à la guerre et avec des mots et des moyens que jamais on n’osa employer contre le totalitarisme communiste tellement plus dangereux et menaçant. La Russie n’est plus communiste. Elle ne menace nullement d’importer son nationalisme en Occident sauf sous forme d’un impérialisme dont elle n’a pas les moyens contrairement à l’Allemagne nazie avec laquelle certains la comparent outrageusement. Pourtant, il s’agit bien apparemment d’une croisade dans laquelle l’idéologie l’emporte sur les intérêts nationaux selon le point de vue du bloc occidental, c’est-à-dire des Etats-Unis, de leur satellites anglo-saxons, de l’Europe otanienne. Il y aurait d’un côté le monde des droits de l’homme, celui des démocraties libérales, de la liberté individuelle et de l’autre l’enfer des dictatures dont la Russie serait le modèle. Ce manichéisme westernien ne résiste pas à la réflexion : les démocraties occidentales ont une conception très sélective des Etats qui seraient fréquentables. La Russie ne le serait pas, l’Iran pourrait le devenir et l’Arabie Saoudite l’est bien évidemment. On voit au travers de ces trois exemples dont le dernier est le plus éloigné de l’idée qu’on peut se faire d’une démocratie puisqu’il s’agit d’une monarchie absolue doublée d’une théocratie que le degré de démocratie peut être inversement proportionnel à la sympathie témoignée par l’Occident. Les droits de l’Homme sont une idéologie à géométrie variable qui s’adapte aux intérêts géopolitiques et économiques de l’Amérique. La croisade démocratique en est le décor illusoire et flatteur. Les bombes démocratiques sur les Serbes, les Irakiens, les Libyens et les Syriens ont été aussi mortelles que celles qui frappent les Ukrainiens. Les sanctions qui ont étranglé l’Irak avant l’invasion de ce pays et le chaos qu’elle a provoqué ont aussi tué des enfants innocents.
Mais la contradiction est aussi interne : la liberté d’expression est aujourd’hui une peau de chagrin dans l’Europe “démocratique”. De plus en plus l’idéologie “progressiste” dominante impose une pensée unique absolument contraire à la liberté d’expression laquelle est à l’évidence l’un des principes fondamentaux de la démocratie puisqu’elle est la condition nécessaire du débat. Celui-ci est lui-même indispensable à l’expression de la volonté de la majorité des citoyens qui est la définition même de la démocratie. La substitution croissante de la notion d’Etat de droit à celle de démocratie tend aujourd’hui à contraindre la majorité à se soumettre à des intérêts minoritaires présentés comme des droits absolus munis d’un cliquet sur lesquels ni le débat, ni l’expression de la majorité ne seraient plus possibles, dont la contestation serait criminalisée. C’est ainsi que la reconnaissance juridique de l’homosexualité, la condamnation de “l’homophobie” sont maintenant présentées comme des valeurs essentielles de l’Occident, indiscutables. On pourrait au contraire affirmer, sans même identifier notre civilisation au christianisme qui a joué un rôle majeur dans son histoire, que les Lumières qui lui ont succédé font de la liberté de penser et donc de discuter de tels sujets une valeur bien plus essentielle que la protection juridique d’un comportement. Bien des civilisations, des cultures différentes, et au sein même de l’Occident des nations n’entendent pas se soumettre à cette idéologie. Or la Commission Européenne dont les membres n’ont aucune légitimité démocratique vient de saisir la Cour de Justice Européenne contre la Hongrie qui ne respecterait pas les droits “LGBT”…. De même, en France, quand tant de sujets infiniment plus cruciaux assaillent le pays, un lynchage médiatique a été déclenché contre une ministre, Mme Cayeux, qui aurait été opposée au “mariage” homosexuel. Il s’agit clairement d’un délit d’opinion scandaleux en démocratie. Ce qui est plus grave, c’est la curée à laquelle on assiste, comme si une pensée dominante il y a à peine quelques décennies dans l’humanité entière, était devenue un crime punissable avec rétroactivité. Malheureusement, cette pauvre Mme Cayeux, au lieu de défendre une opinion parfaitement défendable s’est enlisée dans un maladroit mélange de préjugés, de repentance et de soumission qui ont révélé à quel point une personne peut dans nos démocraties perdre toute dignité lorsqu’elle est accusée de “déviationnisme”, ce terme employé pour désigner les opposants au régime soviétique.
La guerre froide a été la confrontation entre le régime du Goulag décrit par Soljenitsyne et le camp de la liberté où effectivement on a pu penser qu’il était interdit d’interdire. La confrontation actuelle n’a plus la même pertinence : c’est celle d’une civilisation décadente soumise aux intérêts américains, au détriment des siens pour ce qui est de l’Europe, avec un Etat-Nation dont les valeurs sont différentes, et qui pour cette raison est loin d’être seul.
4 commentaires
Cette pauvre madame Cayeux s’est exclue du “champ républicain” que la gauche, à savoir le camp de la Pureté, de la Vérité, du Bien et de la Vertu depuis la Révolution française, délimite selon son bon vouloir. Dès lors, selon elle, Mme Cayeux doit être excommuniée!
Mille mercis pour ce billet lumineux Christian .Je pense comme toi sur ce sujet .Ce qui se passe actuellement à propos de M=me Cayeux est incroyable mais vrai .
Avoir du courage demande -comme de tous temps- d’en faire preuve ! Et non pas de choisir de se renier pour un portefeuille.
A ma connaissance, Raymond Duguet est le premier à avoir dénoncé le goulag dans son bouquin de 1928.
Un bagne en Russie rouge – Solovki – L’île de la faim, des supplices, de la mort
et naturellement étouffé par le PC dit F