Très intéressante journée hier consacrée à la Mémoire.
Comme vous le savez, je suis membre de la Mission d’information sur les Questions mémorielles. Nous avions entendu, il y a deux semaines, Jean Favier et Pierre Nora (cf le compte-rendu sur le site de l’Assemblée nationale). Cette semaine, la Mission a procédé à l’audition de Marc Ferro.
Marc Ferro a évoqué le fait qu’il ne pouvait y avoir de point de vue unique sur des faits historiques et notamment au sujet de la colonisation puisqu’il y a le point de vue de l’Etat français, celui de l’Etat algérien, celui des colons etc… Autant de points de vue que de regards sur les événements… Pour lui, l’objectivité consiste à présenter tous les points de vue…
Il a précisé que les régimes totalitaires (Marc Ferro est un spécialiste de l’ex-URSS) avaient systématiquement déformé la perception de l’Histoire soit en occultant certains faits soit en en modifiant la lecture. Ainsi, la situation économique de la Russie avant la Révolution de 1917 a été curieusement modifiée en fonction des besoins des directions soviétiques successives afin de justifier leur action. Il a ajouté que cette tendance de « dire » l’histoire en fonction du présent se retrouvait également à un moindre degré dans notre pays.
Au cours de son intervention, il a cru devoir m’interpeler en évoquant l’article 4 de la loi de février 2005 portant reconnaissance de la Nation aux Rapatriés, et en résumant celui-ci à travers l’expression de « rôle positif de la colonisation ». J’ai évidemment répondu à Marc Ferro en l’interrogeant sur ce qu’il pensait d’une science qui n’est qu’une interprétation des faits, sur le décalage qu’il y a entre la recherche historique qui se veut scientifique et l’enseignement de l’histoire, forcément sélectif et teinté d’idéologie, et enfin sur la différence entre l’Histoire et la Mémoire qui est la prise de conscience de son identité à travers la connaissance du passé sur lequel elle se fonde.
J’ai eu alors l’occasion de rappeler que le fameux article 4, dont j’ai été l’auteur, distinguait la recherche libre et l’enseignement. Pour celui-ci, la loi n’imposait nullement de ne parler que du rôle positif mais rappelait que ce rôle devait être aussi enseigné, par exemple, à travers l’épopée médicale de la France Outre-Mer, car c’est la présence de la France Outre-Mer qui y était évoquée et non la colonisation.
J’ai cependant évité d’être trop désagréable avec notre invité en lui disant qu’un historien qui cite un texte en le tronquant et en changeant les mots manque singulièrement d’objectivité… Le rappel par l’intéressé de ses engagements politiques avait suffisamment confirmé ce doute…
Nous devions également auditionné Alain Finkielkraut qui s’est curieusement décommandé au profit d’un enregistrement sur une chaîne de radio qu’il est convenu d’appeler de service public… Je l’ai regretté car j’apprécie beaucoup ses analyses et j’aurais aimé lui rappeler ce qu’il avait écrit au sujet de l’histoire coloniale : on enseigne aujourd’hui dans les écoles « l’histoire coloniale comme une histoire uniquement négative. On n’enseigne plus que le projet colonial voulait aussi éduquer (…) Ce n’était pas un crime contre l’humanité parce que ce n’était pas seulement un crime. C’était quelque chose d’ambivalent. »…
Cette journée était décidément consacrée à la Mémoire puisque je fus ensuite très chaleureusement accueilli au Centre culturel Ukrainien (dans l’ancien hôtel particulier de Romy Schneider et d’Alain Delon) par l’Ambassadeur d’Ukraine en France, S.E. Monsieur Tymoshenko, et par les Présidentes des deux associations d’expatriés (Ukraine-Europe, Ukraine 33). J’ai eu la surprise d’y retrouver des Tourquennois : Annick du Roscoat, Présidente du CNI, et Jean-Marie Roger (photo) qui préside une Association d’Amitié avec l’Ukraine à Lambersart. J’ai eu l’occasion de rappeler combien j’étais attaché à la reconnaissance par la France de l’Holodomor, ce génocide particulièrement cynique des années 1932/1933 durant lesquelles le régime communiste d’Union Soviétique a fait mourir par la famine et la déportation 6 millions d’Ukrainiens, privant le « grenier à blé » de l’URSS d’une partie importante de sa population et menaçant une identité que l’Ukraine reconquiert aujourd’hui en remémorant ce passé que l’on a voulu nier comme on a voulu la nier elle-même.
Par ailleurs, vous trouverez en cliquant ici (sarkoy-holodomor) la lettre écrite au Président de la République, Nicolas Sarkozy, sur ce sujet.
3 commentaires
Votre présence parmi nous aujourd’hui et celle des nombreuses personnalités venues vous rendre hommage est un signe fort, celui de votre engagement et surtout de sa fidélité si précieuse auprès de notre communauté engagée dans un combat de longue haleine au nom de la mémoire. Cette année marque en effet pour l’Ukraine et sa diaspora la commémoration du soixante-quinzième anniversaire de la famine-génocide de 1932-33 qui devait faire près de 8 millions de victimes dans l’entre-deux guerres, un génocide méticuleusement organisé et mis en œuvre par toute l’administration stalinienne pour asservir définitivement cette terre depuis toujours insoumise. Dans les steppes des cosaques devenues un océan de désolation, ce sont près de 3.5 millions d’enfants – le ferment de la Nation – qui ont été sacrifiés sur l’autel de la collectivisation, quasiment au vu et au su de tout le monde, dans un silence diplomatique consensuel et convenu, aujourd’hui encore insupportable, inexplicable et inacceptable.
A soixante-quinze ans de distance, la terre d’Ukraine n’a rien oublié, que ce soit grâce à l’ouverture progressive des archives et à la reprise en main par ses citoyens de leur histoire et de leur destin, ou grâce à ses exilés, éparpillés de par le monde pendant des décennies et qui ont conservé intactes dans les sanctuaires de leur exil leurs racines, leurs mémoires, leurs douleurs aussi souvent.
Par votre opiniâtreté, votre volonté sans cesse réaffirmée – au travers de vos propositions de Loi – de pousser enfin l’Etat français à légiférer sur cet épisode sombre de l’histoire ukrainienne, vous faites preuve non seulement d’un profond attachement pour la vérité, mais vous démontrez si besoin en est que seule la dénonciation claire et vigoureuse des crimes contre l’humanité et des génocides du siècle dernier peut en empêcher la réitération à notre époque. Le monde a besoin de sentinelles telles que vous.
Merci pour votre vigilance, merci pour votre conscience.
29.4.08 –
Monsieur le Député,
J’ai assisté hier soir à la réception donnée en votre honneur à l’Espace culturel de l’Ambassade d’Ukraine. Je n’ai pu que vous remercier brièvement en vous serrant la main car vous étiez fort légitimement accaparé par tous les convives mais j’ai eu le plaisir de discuter avec votre ami lillois dont je n’ai pas pensé à noter le nom. Il manifeste comme vous-même un attachement à l’égard de l’Ukraine qui va droit au cœur des citoyens français d’origine ukrainienne dont je fais partie.
Je ne peux que me joindre aux justes louanges qui vous ont été adressées hier car votre dynamisme, votre spontanéité et la passion que vous mettez dans vos actes et vos propos ont pour moi valeur d’exemple.
Merci d’honorer l’Ukraine de votre soutien et de votre amitié.
Bien à vous.
Monsieur,
Tout en partageant votre opinion sur la déformation et la manipulation des faits historiques à des fins, essentiellement, de vile propagande politique – particulièrement à notre époque – permettez-moi simplement d’ajouter une nuance (ne parlons pas de “détail”, le mot est explosif !) :
– vous écrivez : “6 millions d’Ukrainiens tués par le faim par le régime communiste de l’ex-URSS en 1932-1933”
Pourquoi donc vous limiter aux Ukrainiens ? Le bolchévisme (qui arborait une couleur ethnique prédominante… qui n’était certes pas russe, mais attention à la H.A.L.D.E.) ne s’est pas limité aux Ukrainiens – certes grands pourvoyeurs de céréales – mais, dans son désir d’éradiquer le monde rural qui lui était hostile, il a affamé, déporté ou tué TOUS les paysans de TOUTES les provinces de l’ex Empire russe, autant les Russes, les Biélorusses, les Sibériens, sans oublier un véritable génocide, celui des Cosaques, en particulier au Kouban, riche terre agricole peuplée de “soldats-paysans”. On a même retrouvé dans les archives des “oukazes” de Lénine ordonnant de supprimer tel pourcentage de la population dans tel village, en ne se limitant pas à l’Ukraine.
Je vous en parle en connaissance de cause, ayant des grands-parents (côté maternel) ukrainiens et du Kouban…
Mais il ne conviendrait pas de répéter pour l’Ukraine l’établissement, sous le nom de “holodomor”, d’une nouvelle “religion” de l’holocauste !