Le 15 juillet dernier, la Mission d’Information sur les questions mémorielles (voir) a organisé une table ronde sur le thème « Questions mémorielles et liberté d’expression » avec les invités suivants : M. Olivier Cazanave, directeur de la Documentation française, M. Emmanuel Hoog, président de l’Institut national de l’audiovisuel, Mme Christine de Mazières, déléguée générale du Syndicat national de l’Édition, Mme Dominique Missika, historienne, éditrice et productrice d’émission sur France Culture, Me Bruno Ryterband, avocat spécialisé en droit de l’édition et des médias, M. Jacques Semelin, historien et politologue, directeur de recherche au CERI-CNRS, directeur du projet international de l’encyclopédie en ligne sur les violences de masse.
Compte-rendu :
M. Christian Vanneste : La censure peut certes s’appuyer sur des lois mais elle est extrêmement rare. En est-il en revanche de même s’agissant de l’autocensure ? En effet, dès lors qu’il existe un discours officiel sur l’histoire, n’y a-t-il pas une histoire officielle et cette dernière n’implique-t-elle pas de facto l’autocensure de ceux qui n’y adhèrent pas ? Enfin, la rétention de l’information ne touche-t-elle pas autant l’historien que l’éditeur ?
Mme Dominique Missika : Si l’histoire officielle n’existe pas, nous disposons néanmoins d’une histoire « aboutie » dans plusieurs domaines, ce qui n’empêche nullement les historiens de briser le politiquement correct. Robert Paxton n’a-t-il pas montré que le gouvernement de Vichy avait non seulement obéi à l’occupant mais qu’il avait devancé ses désirs sur un certain nombre de points ? Le discours est donc libre et la langue de bois n’a pas lieu d’être. Imaginons qu’un parlementaire, en revanche, tienne à ce que la croisade contre les Albigeois soit qualifiée de crime contre l’humanité. Un « historien » qui s’efforcerait de défendre un tel point de vue tendrait par exemple à faire condamner l’action de Blanche de Castille et de Simon de Montfort mais cela n’en resterait pas moins une aberration : outre que cette « thèse » serait historiquement insoutenable, elle témoignerait de cette maladie qu’est l’anachronisme, laquelle affecte toujours les mauvais historiens et les mauvaises publications.
Je ne nierai pas l’évidence : les éditeurs veulent vendre leurs livres. J’ai moi-même édité chez Robert Laffont Les Tabous de l’histoire de Marc Ferro en sachant que la polémique et la controverse sont parfois nécessaires au succès éditorial. Nous n’avons donc pas peur de la censure même si l’affaire Pétré-Grenouilleau a montré qu’elle était un réel danger. S’en prémunir passe par le maintien de la distinction entre l’histoire et la mémoire dont Marc Bloch a dit que la première vise à expliquer et la seconde à se souvenir.
Par ailleurs, je déteste la formule encombrante et stéréotypée de « devoir de mémoire » : cette injonction moralisatrice brouille les esprits. Avec M. Emmanuel Hoog, j’ai travaillé à l’enregistrement de 110 témoignages de déportés et de fils de déportés ; j’ai également produit pour La Chaîne Histoire et France Culture les procès Touvier, Barbie et Papon. Je sais donc combien il importe d’être à l’écoute des associations et de tous ceux qui ont souffert mais je sais aussi que face à un surcroît potentiel de pathos, seul le travail scientifique permet de répondre aux exigences légitimes des victimes.
Un commentaire
Concernant ce qu’il est convenu d’appeler le “gouvernement de Vichy”, les historiens sont, dans leur énorme majorité, passés à côté de l’essentiel :
– Suite à sa poignée de main avec l’ambassadeur d’Allemagne fin septembre 1939, la déclaration de Pétain à M. Gazel Armand : “J’ai cru devoir lui serrer la main”.
– Les listes de cabinets ministériels envisagées par Pétain, montrées à M. Gazel Armand et sur lesquelles deux noms revenaient toujours: Lémery et celui de Pierre Laval.
– La déclaration de Pétain à Franco en mars 1940 : “Vous nous jugez nous Français sur le front populaire. Attendez, nous aurons aussi notre révolution nationale.”
– L’accord international du 28 mars 1940 en vertu duquel le Gouvernement de Sa Majesté le Roi Georges VI et le Gouvernement de la République française s’obligent chacun envers l’autre à ne pas cesser unilatéralement les hostilités contre l’Allemagne.
– La déclaration de Pétain à M. De Monzie le 30 mars 1940 : “Dans la deuxième quinzaine de mai, ils auront besoin de moi”.
– L’ordre donné le 5 mai 1940 par l’état-major du général Huntziger, membre de la Cagoule et futur secrétaire d’état à la guerre, de détruire les murs de maçonnerie confortés par de gros billots de chêne qui avaient été dressés par le commandant Caillet sur les deux routes qui, de la forêt des Ardennes, menaient à Sedan.
– Le classement sans suite, le 7 mai 1940, par l’état-major du général Bergeret, appelé à être plénipotentiaire, de l’alerte du colonel François qui, rentrant d’une mission de reconnaissance à Duisbourg, remarqua en pleine nuit une colonne de véhicules blindés se dirigeant tous feux allumés vers les Ardennes.
– L’ordre de Pétain à Maxime Weygand le 18 mai 1940 lors de son entrée au gouvernement : “Vous vous batterez pour maintenir les lignes, puis j’imposera l’armistice.”
– La déclaration de Pétain à Darlan, membre de la Cagoule, le 11 juin 1940 : “Il faut changer ce régime.”
– L’article 1 de la convention d’armistice du 22 juin 1940 ordonnant une capitulation militaire, ce que voulait Paul Reynaud sans demander l’armistice.
– L’acte constitutionnel n°1 du 11 juillet 1940 de Pétain violant la loi constitutionnelle du 10 juillet 1940.