De Gaulle disait : “vers l’Orient compliqué, je m’en allais avec quelques idées simples”. Deux évènements éclairent ce mot de “compliqué”, cette semaine : l’assassinat de l’Ambassadeur américain en Libye à Benghazi, la visite du Saint-Père au Liban du 14 au 16 septembre. Avec nos idées simples, nous avions pu croire que le monde arabe et plus largement la monde musulman allaient connaître des révolutions semblables à celles de l’ancien bloc communiste, laissant à nouveau se profiler à l’horizon l’avènement de la démocratie universelle rêvé comme la “Fin de l’Histoire” par Fukuyama. ” La croissance de la démocratie libérale et du libéralisme économique qui l’accompagne a été le phénomène macropolitique le plus remarquable de ces cent dernières années” écrivait-il. Voilà que le monde arabo-musulman allait y venir : avec la détermination de quelques despotes éclairés et modernes, avec leur énorme quantité d’argent, on allait mettre fin à ces régimes dictatoriaux, produits d’un nationalisme décadent et corrompu. Il a fallu, pour ce faire, réviser très vite les relations, mettre fin d’un air dégoutté à de si bienveillantes hospitalités et faire oublier dare-dare celle qu’on avait déployée. L’estocade à Khadafi effaçait d’un coup sa visite à Paris, les vacances de Fillon en Egypte et celles de MAM chez Ben ALI. La rue ayant toujours raison chez nous depuis juillet 89, la rue arabe était d’avance légitime, à Tunis, au Caire, à Damas, à Bahreïn.. Non pas à Bahreïn : là, c’est compliqué, parce que la rue est chiite et le pouvoir sunnite, comme nos amis du Qatar, des Emirats, comme les saoudiens qui sont allés rétablir l’ordre, manu militari, pendant qu’on faisait semblant de regarder ailleurs.
En Syrie, c’est encore plus compliqué : le parti Baas nationaliste, qui a été fondé notamment par un chrétien, Michel Aflak, et qui était aussi celui de Sadam Hussein en Irak, est au pouvoir depuis deux générations d’Assad. Il s’appuie plutôt, toujours pour simplifier, sur les non-sunnites, et bien sûr est combattu par des sunnites, soutenu par les mêmes puissances que pour les autres révolutions : Les Etats-Unis et leurs alliés, c’est-à-dire nous, entre autres, comme en témoignent les images qui proviennent toujours des gentils révolutionnaires, victimes des méchants partisans du régime. C’est le remake du Kossovo et des Serbes. En face, donnant une fois encore raison à Huntington contre Fukuyama, en première ligne l’Iran et en seconde la Russie. On croyait assister à la fin de l’histoire démocratique, on a seulement un épisode de la guerre des blocs ou des civilisations, avec pour les Américains une jonglerie complexe et dangereuse, dont les boules ont parfois tendance à leur revenir dans la figure. Ben Laden et le 11 Septembre étaient les enfants ingrats de l’aide aux Afghans contre les Soviétiques, l’assassinat de l’Ambassadeur est un bien étrange remerciement pour le renversement de Khadafi.
Les grands oubliés, les plus sacrifiés dans ce chaos sont les premiers occupants de ces pays. En Irak, avant l’arrivée de l’Islam, il y avait des Chrétiens, Assyriens et Chaldéens d’aujourd’hui, qui fuient en masse LEUR pays parce que d’autres chrétiens plus récents y sont venus semer le pire désordre. En Egypte, ce sont les Coptes, les héritiers des bâtisseurs de pyramides, qui sont de plus en plus menacés et discriminés. En Syrie, les melkites et les orthodoxes sont nombreux à craindre avec la fin d’une dictature implacable, mais tolérante, sur le plan religieux, l’avènement d’un régime religieux fanatique et hostile. Le Liban est pour l’instant plutôt préservé. Les réfugiés y affluent, une fois encore puisque c’est le destin de la Montagne libanaise que d’accueillir au long des siècles tous les persécutés de la Région. Jean-Paul II avait dit que ce pays était un message, puisque les nombreuses communautés religieuses qui y vivent y ont façonné une mosaïque fragile mais qui pourrait servir de modèle à toute la Région. Amin Maalouf, ce grand écrivain libanais devenu Académicien Français a toujours nourri un amour lucide pour son pays : le Liban ne peut être un exemple à suivre, la religion et la politique y sont étroitement mêlées et les Chrétiens n’y résistent mieux qu’ailleurs que parce que leur poids est plus grand en proportion de la population. Le Moyen-Orient n’a pas connu cette chance de l’Occident que soulignait l’auteur du “Rocher de Tanios” : c’est entre les deux pouvoirs séparés du Pape et de l’Empereur que s’est épanouie la liberté de penser tandis que “l’une des tragédies du monde musulman, c’est que la politique a constamment empiété sur le domaine religieux.” Benoît XVI sera reçu lors de sa visite par le patriarche maronite, Bechara Raï, chef spirituel de la plus grande communauté catholique de cette région du monde. L’exemple à donner est précisément le sien, celui d’une autorité spirituelle qui qui a d’autant plus de poids qu’elle se situe au-dessus du grand jeu pour le pouvoir en quoi consiste la politique. Mais pour que ce message soit clair, il faudrait d’abord qu’il soit entendu chez nous. Il y a quelques mois, j’étais à BEYROUTH, à l’invitation du Parlement Européen pour un colloque consacré aux Chrétiens d’Orient. J’étais le seul élu français. Il n’y avait aucun parlementaire européen représentant notre pays : cette absence dans un pays frère et sur une question dans laquelle la France est impliquée en première ligne depuis des siècles est une honte ! La France a aussi un message à faire entendre au Moyen-Orient et il ne peut consister à servir d’écho à d’autres valeurs que celles auxquelles est indissolublement lié notre pays pour toutes les communautés de cette région.